Sur les terres des frontières perdues by Kate Harris

Auteur:Kate Harris [Harris, Kate]
La langue: fra
Format: epub
ISBN: 9782081426979
Éditeur: Arthaud
Publié: 2019-09-16T22:00:00+00:00

Le lendemain, un jeune Azéri a profité de mon vélo. Accroché au porte-bagages arrière, il a surfé sur la route dans ses baskets, refusant de lâcher en dépit de mes cris et mes mouvements brusques. Au bout d’un temps, il s’est quand même décroché et est parti en riant mais j’aurais pu parier qu’il était toujours là, ralentissant ma progression dans les côtes. Le terrain s’est nivelé quelques jours plus tard lors de la traversée d’un désert entrecoupé de canyons. Sous le soleil radieux, le paysage scintillant semblait rendre hommage au mot Azerbaïdjan, qui provient de azer, qui veut dire « feu » en perse. Il faisait si chaud que j’étais persuadée que le stand de vente de pastèques qui chancelait à l’horizon devait être un mirage. Nous nous sommes gavées de fruits puis sommes reparties, et le vent soufflait désormais dans le même sens, ce qui nous a paru tout aussi miraculeux. Profitant à fond de cette brise favorable, j’en ai oublié la règle numéro un du vol plané : bien que contraire à l’intuition, c’est plus facile d’aller contre le vent, ce qui explique sans doute pourquoi à notre arrivée à Bakou, j’ai eu le sentiment de m’écraser par terre.

Située sur la rive occidentale de la mer Caspienne, la capitale luisante de pétrole de l’Azerbaïdjan est le genre d’endroit qui gonfle sa poitrine pour cacher son gros ventre. Jusqu’au début du XXe siècle, les champs de pétrole de Bakou fournissaient la moitié des besoins en pétrole du monde, remplissant ainsi les poches de l’élite régnante du pays. Parce que la ville était très chère, nous avions réservé un toit gratuit sur couchsurfing.com, un site qui relie des voyageurs avec des hôtes partout dans le monde. Nous avions accepté une offre d’hébergement avec un étudiant américain dans un appartement qui, sur les photos, semblait vaguement bohème mais qui, en vrai, était avant tout insalubre. Nous avons déroulé nos sacs de couchage sur la moquette moisie d’une chambre sans porte mais, entre les étudiants qui ont fait la fête toute la nuit sur du Bob Marley et les puces et moustiques qui nous ont trouvées très à leur goût, nous avons à peine dormi. Mel s’est réveillée avec d’énormes poches sous les yeux, le visage gonflé et marqué de plaques rouges et constellé de boutons qui rivalisaient avec ses taches de rousseur. Je n’avais pas besoin d’un miroir pour deviner que j’avais la même tête.

Nous sommes parties, les yeux injectés de sang, à l’ambassade afin d’obtenir des visas pour le Kazakhstan, notre prochaine étape sur la route de la soie. Qui, à ce stade, s’est avérée être moins une route qu’un parcours du combattant. Oubliez la circulation, la météo, les nids-de-poule, les cols de montagne : la plus grande difficulté si vous voulez rejoindre l’Inde depuis la Turquie à vélo, c’est obtenir la permission de rejoindre l’Inde depuis la Turquie à vélo. Nous avons pris un taxi pour l’ambassade du Kazakhstan à Bakou et découvert en arrivant qu’elle avait déménagé. Nous avons ensuite erré longtemps avant de trouver les nouveaux locaux, mais c’était fermé.

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